Chiffre de l'enfer.

       On ne peut pas rester cacher définitivement sous l'idée qu'à le monde sur nous. A un moment donné, en plein milieu de notre course de survie, il faut prendre une pause et avancer à notre rythme afin de donner sens à notre nom. Il faut se forger une personnalité, se dire:《Voilà qui je suis, personne ne pourra me faire penser autrement. 》En gros, "Oser être et s'assumer."

 

       C'est tellement facile de faire une auto-biographie quand on nous demande qui nous sommes. Que bon nombre d'entre nous se retrouve automatiquement pas à son aise quand on lui pose des questions genre: "Quel sens à la vie pour toi?" . On répond avec des sueurs, des tremblements dans la voix et des bégaiements. C'est tellement facile que d'être ce que le monde veut qu'on soit: une fille, une étudiante adhérée à un courant pour être à la mode. Tellement plus facile de plaire au monde que d'oser de se faire entendre, de laisser paraître celle que nous sommes. Tellement facile, qu'on s'est nous-même perdu, nous sommes devenu leur dire ambulant, on a donné vie à leur vision de nous et on s'est regardé dépérir, regardé mourir. 


    Tout est voyage... 
Quand les premières notes d'une musique se font entendre, on cherche à imaginer la raison cachée derrière une si captivante histoire ou de laisser nos souvenirs nous frapper à reculons. 
    Tout est voyage... 
Et ces bribes d'histoire constituent mon voyage vers la détermination du "moi" véritable. 
Ce "moi", caché de beaucoup, le "moi" opposé aux dires des autres. 


  23...Je me souviendrai toujours de ce chiffre. Je me vois souvent dans le futur, seule dans une chambre de fous, entourée par des murs blancs à travers lesquels je compterai mon histoire. "COMPTER" parce que toutes les dates qui m'ont marquées ont toujours su se calculer. 

  23...le chiffre où j'ai commencé à chercher à me définir en tant que femme. Le chiffre qui a enfanté ma peur, mon incapacité à dire " non " mais aussi le mal-aise à m'affirmer et prendre ma liberté à deux mains au lieu de rester coincer dans toute cette pudeur qui me fait passer pour une fille naïve. Je suis morte et rescucitée un 23 sans vie, sans joie, sans positivité et surtout sans moi. 

   A l'époque, je prenais mon premier cours d'écriture et il était mon professeur. Il avait cette manière subtile de glisser ses sentiments dans les quelques rares conversations qu'on avait qui me surprenais toujours. Je ne faisais que sourire face à ses efforts de contourner mon jeune esprit vers cet amour qu'il disait ressentir pour moi. Ce dont je ne m'en doutais pas c'était que mon sourire pouvait être que le poids de mes futurs tourments. Tant que je souriais, tant que sans le savoir je le motivais. Mon sourire n'a été que sa façon de planifier son coup. 23... le jour où, depuis, mon âme s'éteignait à petit feu. 



    Tout est voyage... 
J'ai gardé son rire, le goût de ses baisers, la puissance de ses mains, la voix de ma robe, les pleurs de mon esprit, le son de mes larmes et les pas de mes pensées à chaque levée de soleil. 
J'ai tout gardé et parfois, rien que parfois, bière et fumée m'aidait à tout noyer le temps d'une nuit, le temps que l'oublie puisse déployer ses bras. 

 


   Tout est voyage... 
Mais son souvenir a été mon cercle. 
Les hommes n'étaient que des tangentes à lui. 
A chaque nouvelle main, chaque nouvelle caresse, chaque cantique d'amour, chaque démarche, son ombre flottait partout. 
Comme s'il les avait formé à être lui, à dire lui, même en ne faisant rien, en ne disant rien. 


   23...le numéro de mon plus grand voyage. Celui qui m'a fait visité et dévisité à la fois l'amour, l'amitié, la confiance, la peur, le repli, le rejet, la culpabilité et surtout la mort. 23 et après tout a été plus facile à prétendre, de ne plus me laisser balader dans les rues de Port-au-Prince.


Tout est voyage... 
Le parfum de ma culpabilité est resté coller à moi des et des années après. 
Je suis devenue la fille facile pour ceux qui ne pouvaient pas m'atteindre tant bien que pour celles qui me détestaient ; mais aussi la fille frigide et sans cœur pour ceux avec qui je refusais de faire l'amour. 
23 et mes yeux ce sont ouverts sur l'utilité de la femme aux yeux de certains hommes. 
Malheureusement, ceux qui m'entouraient. 


    Écrivains, diseurs, slameurs, étudiants, professeurs, amis d'amis ... leurs yeux respiraient que par le corps de la femme. On était femme intelligente et généreuse que quand on acceptait de coucher avec eux. Sinon, on était comme de la peste, fallait nous éviter et fallait aussi sâlir notre nom et le peu de réputation qu'on chérissait.


  Tout est voyage...
et ce 23 s'est taché des marques des années qui passaient. Il était là les premiers de chaque mois et demeurait tous les autres jours. Chaque jour était un 23Alors, il y a eu cet autre 23 où l'alcool priait, lisait de jolis poèmes, des poèmes à saouler des proses. 
Ce 23, où ma jupe s'est endormie sur des nuages; où mes pensées, tournées vers ma guérison se sont détachées de la réalité. Cette réalité où mon corps était l'Amérique et mon cher Colomb me découvrait. 


   Tout est voyage...
et en cet autre 23 bien que plongé dans l'oubli, il m'a tout dit...Il m'a rappelé qu'on devrait laisser voyager le chiffre 23 en moi. Me passer par le cul pour me remonter vers le peu d'espoir de guérison que j'avais et surtout, tout tuer. Le sang, ce jour, a éclaboussé mon estime, mon amour-propre et l'amitié. Le sang s'est éparpillé dans mon sourire et est allé se reposer dans mes yeux, mes oreilles et mon âme.


 Tout avait changé.


   《 La musique était devenue un bruit. J'avais perdu goût à la lecture. Le ciel n'existait plus. Un beau vide incolore reflétait la couleur de mon âme. J'avais perdu la voix. Je n'existais plus et dans mon corps et dans la vie des autres.》


Tout est voyage...
et à partir de ce nouveau 23 je commençais par faire les cauchemars du premier 23. Avec celui-là, j'avais aucun repos. Les images serpentaient devant mes yeux le jour et prenaient forme dans chaque sommeil. Je me sentais disparaître. A chaque pas, chaque acte de présence dans un lieu, mon corps était remplacé par un puzzle de souvenirs. Et je me retrouvais donc souvent cachée dans les toilettes des bars à pleurer ou à essayer de m'extorper ces souvenirs avec une arme de raseoir; Je me retrouvais à hurler sur des gens qui voulaient essayer de me toucher. 


   Plus de peau! Ce que j'avais c'était une masse impure et sale. Je voulais tant tout enlever pour ne plus sentir le vent me parler, sentir la poussière jouée à cache-cache avec moi. Ce même vent qu'il respirait, cette même poussière qui lui tenait la peau. Tout me ramenait à lui. Le sang, les larmes et les cris ne réussissaient pas à l'enlever en moi. J'étais devenue lui et je ne pouvais pourtant me détourner de lui. 


   Nous les femmes , on a une drôle de réaction face à la peur. Souvent on devient hystérique mais réellement on s'attache à l'objet de notre peur.
    Je me suis attachée. J'ai tout donné pour recréer une autre image à ces deux hommes. 
    Je me suis attachée. J'ai appris à chérir l'objet de ma peur, à lui parler d'amour, d'avenir et à faire des projets ensemble. Puis, un beau jour, j'ai appris à haïr cet objet. L'homme. Le sexe. Le viol. J'ai hais autant que j'ai dû aimer. Pourtant, lui, en ressentant ma peur, il m'a marché sur les joues. Il m'a enlevé des yeux de ceux qui m'admiraient. Lui, il a retourné ma haine contre moi et la parole est devenue ma peur. 


Tout est voyage... 
Cette nouvelle destination vers la peur de parler, de m'exprimer n'a pas su m'aider à dire "non" devant certaines choses que j'aurais préféré ne pas vivre. Cette peur de m'exprimer se nourissait de la peur de perdre les gens que je croyais aimer et qui prétendaient m'aimer. C'était impossible pour moi d'avoir une opinion. C'était plus facile de laisser les gens m'utiliser que de me retrouver "sans amis". 


Tout est voyage... 
le chiffre 23 s'est remis à balader quand, sachant que je n'étais pas indifférente au charme féminim, des "potes" m'ont organisés une petite "krèy". Au pays , quand t'es "masisi" on te supportait que quand tu avais ton business de barbecue ou un studio de beauté...Je voulais plus faire parti de la bande alors, je me suis donnée en spectacle. Deux filles au milieu de plusieurs gars. Je me souviendrai toujours que l'un d'eux s'approchant de moi m'ait dit qu'il avait vu dans mes yeux que je ne voulais pas faire ça.《 Qu'as-tu fait pour arrêter ce qui se passait ? 》 


  Tout est voyage... 
La peur de m'exprimer aurait pû être surmonter si je n'étais pas tomber amoureuse de quelqu'un qui ne pouvait supporter ma voix. Vivre dans une relation abusive augmentait cette peur. J'aimais quelqu'un qui savait tout de moi et qui avait décidé de rester avec moi, le premier qui ne s'enfuiyait pas de dégoût devant mes histoires de viol. Mais aussi, le seul qui pendant trois ans m'interdisait d'avoir d'autres contacts humains que lui. J'avais que le droit de le regarder faire tout ce qu'il me refusait et le devoir de l'aimer inconditionnellement. 


Tout est voyage... 
Il a fallu que je termine chez un psychologue pour savoir que je devrais parler. Savoir que j'avais droit au refus. Il a fallu que j'effectue ce voyage là pour savoir que refuser aux autres c'était en faite m'accepter. 


Tout est voyage... 
J'ai fait mes bagages. D'abord, celui de cet amour qui m'asphyxiait. Ensuite, celui de ces amitiés qui voulaient juste que j'exécute l'impossible pour leur plaire. Puis, celui de mes tourments. Dans ce dernier, il y avait le feu qui a détruit mon enfance et le 23 qui m'a fait sauter l'adolescence.


Tout est voyage... 
Pour une première fois, je jouissais de mon statut de femme à ma manière. Je savais m'exprimer devant l'injustice. J'osais écrire ce que mon corps, mon cœur et mes pensées voulaient partager. J'osais sortir, m'amuser. J'osais tout ! Même mes cauchemars faisaient de la place à des rêves. J'osais et je me sentais vivante. 


Tout est voyage... 
Au nom de cette nouvelle personne que j'ai découvert en moi. Au nom de cette nouvelle façon de voir la vie. Au nom de la paix d'esprit que je goûtais: "J'ai eu peur." La peur était la seule chose que j'arrivais pas à contrôler. J'ai eu peur de rechuter, de revivre les mêmes choses, que mes pensées puissent me lâcher un jour et me ramener vers mes tourments.


Tout est voyage... 
On était un 10 mars, j'ai fêté la veille. Ce 10 mars, dans ma chambre, je repensais à tout, revivais chaque détail et pleurais en silence. Rien qu'un chant de larmes pour me bercer. J'ai tout revecu et me suis sentie lourde et vide. Je me suis levée et j'ai pensé à mes chats. 


Tout est voyage...

Je me suis suicidée un 10 Mars, comme ça. 

Rien que parce que je n'étais pas guérie de mes malheurs. 

Les souvenirs se sont ancrés à fleur de moi. 


Perdrose...

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